01 mai 2016
01 mai 2016

Rerum Novarum 125 ans de doctrine sociale de l’Eglise catholique

par  Jean-Jacques Flammang, scj
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Le 15 mai, nous célébrons le 125e anniversaire de la publication de l’encyclique « Rerum novarum » du pape Léon XIII. Cet écrit pontifical est considéré aujourd’hui comme la première encyclique sociale de l’Eglise catholique.  En rappelant cette date du 15 mai 1891, nous pouvons mettre l’accent sur la justice sociale dans le monde aujourd’hui. Notre “Bibliothèque dehonienne” signale 769 publications sur Rerum Novarum.  Voir par exemple l’éditorial de la revue Dehoniana de 1990. Cliquer pour lire le texte.

La doctrine sociale de l’Eglise catholique, un apport appréciable pour une politique sociale planétaire de plus en plus juste

Leone XIIIVoilà 125 ans que le pape Léon XIII a publié sa grande encyclique sociale Rerum novarum. Elle résume et confirme les recherches théoriques et les œuvres pratiques de catholiques engagés dans le domaine social auprès des pauvres pendant la deuxième moitié du XIXe siècle. Pour les pays européens, ces pauvres sont alors les ouvriers gravement exploités par un capitalisme non cadré juridiquement, loin des commandements bibliques et des recommandations de l’Eglise catholique. En fait, depuis le XVIIIe siècle, on essayait de « vouloir bâtir un ordre temporel solide et fécond en dehors de Dieu, unique fondement sur lequel il puisse subsister, et de vouloir proclamer la grandeur de l’homme en le coupant de la source dont cette grandeur jaillit et où elle s’alimente ; en réprimant, et si possible en éteignant, ses aspirations vers Dieu ». C’est ainsi que présente le pape Jean XXIII la situation de la modernité, le 15 mai 1961 dans son encyclique Mater et Magistra en commémoration de l’anniversaire de Rerum Novarum.

Depuis le Siècle des Lumières et le développement industriel, c’est la bourgeoisie masculine qui a remporté la victoire politique et s’attribue dès lors les nouveaux droits de l’Homme sans trop d’égards pour ceux qu’on finit par appeler les prolétaires. Le droit de vote n’est pas pour les pauvres, ni pour les femmes d’ailleurs ; seuls les bourgeois, suffisamment nantis pour payer le cens, peuvent influencer politiquement les temps postrévolutionnaires. Il faut attendre 1848 pour qu’en France le suffrage censitaire soit remplacé par le suffrage universel, mais uniquement pour la gente masculine.

Après les horreurs de la première guerre mondiale, le pape Benoît XV se prononce officiellement le 15 juillet 1919 pour le droit de vote des femmes, mais en France celles-ci doivent attendre le Général de Gaulle pour recevoir ce droit, le 21 avril 1944. Au Luxembourg, où le parti des catholiques a la majorité au parlement, les femmes reçoivent ce droit dès le 26 octobre 1919. C’est dire que la laïcité n’est pas toujours la meilleure inspiratrice politique pour faire respecter les droits et faire reculer les injustices sociales. Il serait donc prudent d’être davantage vigilant en ces temps-ci où certains veulent à tout prix introduire la laïcité dans tous les Etats de l’Union Européenne. Avant de souscrire à un tel programme idéologique pour toute l’Europe, il serait bon de s’informer ce qu’a élaboré la doctrine sociale de l’Eglise catholique au cours de ces 125 dernières années.

Rerum novarum, un point d’arrivée et un point de départ

En 1891, la première encyclique sociale ne dit pas tout, elle est plutôt un point de départ pour ce qui va suivre. Pourtant elle ne sort pas non plus de nulle part : des catholiques engagés avaient déjà largement travaillé la question ouvrière et sociale. En tant que membre de la Congrégation des Prêtres du Sacré-Cœur, je me réfère volontiers à notre fondateur, le Père Léon Dehon (1843-1925), qui, juriste de formation, a comme jeune prêtre cherché dès 1871 des moyens pour améliorer la condition ouvrière, en fondant à Saint-Quentin des œuvres pour les jeunes ouvriers et des cercles pour leurs patrons ainsi qu’un quotidien pour mieux informer, même les milieux populaires. Par la suite il devait s’engager auprès des abbés démocrates, soutenir les industriels catholiques de bonne volonté, comme Léon Harmel, et écrire des textes sur des thèmes abordés par le pape Léon XIII. Ce dernier lui demande d’ailleurs de prêcher ses encycliques, d’en « être le phonographe », comme il lui dit.

Le fondateur des Prêtres du Sacré-Cœur n’est pas isolé. Nombreux sont les catholiques, d’ailleurs de tout bord social et politique, qui ont à cœur d’améliorer les conditions épouvantables des ouvriers exploités par un capitalisme libéral loin de l’Eglise. On dit parfois que l’Eglise avait perdu les ouvriers. C’est vrai, mais avec les ouvriers elle avait aussi perdu les patrons qui voulaient ériger une société sans Dieu et sans Eglise.

Des exceptions existent pourtant. Parmi elles, les nombreux catholiques notoires, comme Friedrich Wilhelm Raiffeisen (1818-1888). Dès 1846, deux ans avant le fameux Manifeste du parti communiste de Karl Marx, cet industriel allemand s’occupe efficacement de la situation sociale misérable de ses ouvriers en fondant ce qui devait devenir ultérieurement le mouvement de banques coopératives dont les banques Raiffeisen sont les héritières.

Pour ces catholiques inspirés de principes éthiques justes, formulés et expliqués dans de nombreux écrits circulant dans les milieux ecclésiastiques, l’encyclique de 1891 est pour ainsi dire un point d’arrivée : leurs engagements auprès de la classe ouvrière sont reconnus et reçoivent une approbation officielle de la plus haute instance ecclésiastique.

Après Rerum Novarum, un développement constant

Depuis Rerum Novarum, la doctrine sociale de l’Eglise n’a cessé de se développer tant par les encycliques pontificales que par les documents du Concile Vatican II et les nombreuses interventions des évêques.

De nos jours, cette doctrine aborde la plupart des problèmes que posent les sociétés contemporaines un peu partout dans le monde. Relevant les anciens et les nouveaux défis que lance à l’humanité une mondialisation de plus en plus prononcée, elle affirme des principes et propose des solutions aux problèmes concrets.

Parmi les nombreuses publications sur le sujet, le livre « Keine Freiheit ohne Gerechtigkeit. Christliche Sozialethik angesichts globaler Herausforderungen » de Joachim Wiemeyer, professeur d’éthique sociale chrétienne à l’Université de Bochum, montre qu’une véritable liberté n’est possible que si elle respecte la justice. Et celle-ci ne concerne plus seulement tel ou tel pays, mais bien le monde dans sa totalité. La plupart des défis actuels sont devenus des défis planétaires : Joachim Wiemeyer en retient douze qu’il analyse en détail avant de proposer des pistes de solution inspirées par ce qu’ont publié en matière de doctrine sociale surtout les derniers papes Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI et François ainsi que différentes conférences épiscopales.

Premier constat important : 70 % des pauvres vivent dans des pays à revenus moyens qui sont à mêmes de faire disparaître la pauvreté, si les revenus étaient mieux répartis. La pauvreté n’est donc pas une fatalité ; elle est créée par des systèmes socio-politiques, et c’est par de tels systèmes qu’on pourrait aussi la faire disparaître. Mais pour ce faire, il faut une volonté politique qui ne perd pas de vue les défis de l’humanité du XXIe siècle.

En première place figure l’écologie. L’encyclique « Laudato si’ » du pape François lui est entièrement consacrée. Les autres défis la concernent aussi : les guerres permanentes ; la faim et la pauvreté encore largement répandues ; l’expansion asymétrique de l’éducation et du savoir ; le chômage et les conditions inhumaines de travail ; les droits souvent sans limite des libertés individuelles qui ont pour conséquence un manque déplorable de démocratie ; les inégalités entre les deux sexes et l’idéologie du genre qui n’est pas une solution ; les mouvements migratoires et les réfugiés de plus en plus nombreux ; l’expansion de systèmes politiques religieux et la limitation de la liberté religieuse qu’elle implique ; l’accès limité dans bon nombre de pays aux moyens de communication sociale ; le développement de la criminalité internationale.

En revenant sur ces thèmes abordés par ses prédécesseurs, le pape François résume fort bien l’attitude à développer parmi les catholiques et toutes les personnes de bonne volonté, lorsqu’il note dans son exhortation apostolique « Evangelii Gaudium » (La joie de l’Evangile) : « Où est ton frère esclave ? Où est celui que tu es en train de tuer chaque jour dans la petite usine clandestine, dans le réseau de prostitution, dans les enfants que tu utilises pour la mendicité, dans celui qui doit travailler caché parce qu’il n’a pas été régularisé ? Ne faisons pas semblant de rien. Il y a de nombreuses complicités. La question est pour tout le monde. »

Exigeant une collaboration internationale dans la lutte contre la criminalité et les autres défis, Wiemeyer signale que parfois les Etats qui accusent sont eux-mêmes impliqués dans cette criminalité. Il donne en exemple le trafic des drogues, les réactions face au terrorisme, à la traite des personnes, même dans l’Union européenne qui ne lutte pas suffisamment contre la prostitution et les paradis fiscaux en son sein.

Wiemeyer prend comme exemple le Luxembourg et signale que le droit européen ne permet pas encore de boycotter un pays qui se comporte mal, voire de l’exclure de l’Union européenne pour des pratiques injustes. Dans beaucoup de pays la criminalité organisée entretient même de bons rapports avec la politique et l’administration. D’un autre côté, il ne faut pas oublier que souvent les lois permettent des pratiques avantageuses pour une minorité qui en profite sans se soucier de la justice et de l’éthique sociales.

En ce qui concerne les migrants, Wiemeyer part de la position qu’a défendue le pape Benoît XVI dans son encyclique sociale « Caritas in veritate » : « Tout migrant est une personne humaine qui, en tant que telle, possède des droits fondamentaux inaliénables qui doivent être respectés par tous et en toute circonstance. » C’est certes le devoir des organisations internationales d’informer sur les difficultés que peuvent rencontrer les migrants en ce qui concerne l’intégration dans des cultures étrangères, la différence des systèmes économiques, le niveau de qualification professionnelle… D’un autre côté il ne faut pas oublier que l’Union européenne soutient souvent une politique étrangère peu cohérente et ne se soucie pas assez des causes qui poussent des personnes à fuir leur pays pour trouver ailleurs des conditions meilleures. Pour beaucoup de pays les aides financières pour leurs migrants dépassent de loin celles destinées au développement du pays. Dans ce contexte, Wiemeyer propose d’aider davantage les migrants qualifiés à retourner dans leur pays d’origine afin de pouvoir y contribuer au développement.

Un chapitre spécial est dédié au dialogue interreligieux et à la liberté religieuse. Wiemeyer y défend le pluralisme religieux indispensable pour une démocratie. En ce domaine, l’Europe pourrait être le modèle pour les pays émergents où les représentants religieux devraient recevoir une formation qualifiée afin d’éviter plus facilement les « guerres saintes » contre d’autres communautés religieuses.

Wiemeyer comprend l’Eglise catholique comme le plus ancien « global player ». Au long des siècles, elle a pu élaborer des modèles pour une collaboration planétaire efficace. Face aux grands défis, elle ne se résigne pas, mais devient exemplaire pour chercher et trouver des solutions en respectant la spécificité culturelle des différents participants au dialogue.

125 ans après la publication de la première encyclique sociale Rerum Novarum, encouragée par l’annonce de l’Evangile, l’Eglise catholique ne doit cesser d’œuvrer partout dans le monde en faveur de la justice sociale pour tous.

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