Institut Saint Jean et La Croix à Saint-Quentin
Le mercredi 10 novembre 2021, l'Institution Saint Jean et La Croix a inauguré un bâtiment rénové et l'a dédié au Père Léon Jean Dehon. Voici le discours du Père Joseph Famerée sur le lien entre Léon Dehon et l'Institution Saint Jean.
Le mercredi 10 novembre 2021, en la fête de saint Léon, l’Institut Saint Jean et La Croix inaugurait un bâtiment rénové et le dédicaçait au Père Léon Jean Dehon, fondateur de l’Institution Saint Jean en 1877. La cérémonie s’est déroulée en présence des Prêtres du Sacré-Cœur de la communauté de Saint-Quentin et du Provincial. Celui-ci avait été invité à prononcer une bénédiction sur les personnes présentes, spécialement les nombreux élèves rassemblés dans la cour, qui occuperaient ce bâtiment. Ensuite, avec le Chef d’établissement, il dévoila la plaque commémorative. Une visite du bâtiment, destiné à des activités spécialisées comme l’animation pastorale ou la musique, s’ensuivit, avant l’allocution du Chef d’établissement et le discours plus historique du Provincial sur le lien originel entre Léon Dehon et l’Institution Saint Jean (voir le texte ci-dessous). La matinée se termina par une réception dans la nouvelle bibliothèque scolaire.
Léon Dehon et l’Institution Saint-Jean
Lorsqu’il rentre de Rome dans son diocèse, à Saint-Quentin, en 1871, après ses études et le concile Vatican I, dont il fut sténographe, l’abbé Dehon est nommé septième vicaire à la collégiale, qui recevra le titre de basilique en 1875[1]. En cette fin du XIXe siècle, il ne tardera pas à y découvrir la misère des ouvriers et à entreprendre de la combattre, entre autres par la conscientisation du clergé. D’emblée aussi, il est convaincu de l’importance capitale de former la jeunesse.
Il commence ainsi à rassembler des enfants, une demi-douzaine tout au début, puis, à partir de juin 1872, une quarantaine de jeunes chez Monsieur Julien, président de la Société Saint Vincent de Paul et confident de l’abbé Dehon. Il fait alors l’acquisition d’un jardin situé rue des Bouloirs et fait construire, pour 8000 francs environ, quelques salles de réunion et une chapelle. Le patronage Saint-Joseph est né. Chaque dimanche, des enfants viennent s’inscrire et, avec l’aide de bénévoles, dont Monsieur Legrand, le futur Père Mathias, peuvent jouer, chanter, bénéficier d’une espèce de caisse d’épargne, lire, assister à la messe et s’instruire religieusement… Peu à peu le patronage prend de l’ampleur : jeux, billard, gymnastique et agrès, bibliothèque et possibilité d’abonnement à la revue Petites lectures, « caisse d’épargne » où chaque jeune peut déposer et retirer ses économies…, mais aussi causeries, enseignements, prières, assistance à la messe (comme on disait encore à l’époque)…
Il faut noter l’implication de jeunes aux côtés d’adultes pour la gestion et l’animation, ainsi qu’une organisation des plus grands sous forme de « cercles », et même la création de La Conférence de charité, qui regroupe, sous la présidence de l’un d’eux, une trentaine de jeunes qui vont rendre visite aux familles les plus démunies… On le voit, toute une pédagogie est ici à l’œuvre, qui vise l’apprentissage de l’autonomie des jeunes. À partir de 1874, six chambrettes, au deuxième étage, sont mises, pour un loyer très modéré, à la disposition des jeunes ouvriers de la rue.
Pour soutenir cette œuvre, est créé un « comité protecteur des œuvres ouvrières catholiques de Saint-Quentin », regroupant des personnalités de la ville, sous la présidence de l’archiprêtre de la Basilique, assisté de l’abbé Dehon.
On peut souligner le caractère « moderne » du patronage Saint-Joseph et du cercle catholique, où l’on trouve déjà des éléments essentiels de la Jeunesse ouvrière chrétienne, fondée en 1925 (« Voir, juger, agir » ; évangélisation du jeune par le jeune, du semblable par le semblable). De ce lieu dehonien d’éducation, il reste aujourd’hui un porche, rue des Bouloirs.
Après avoir également créé un journal catholique, celui qui est devenu en 1876 le chanoine Dehon songe à ouvrir une école pour y former des jeunes à devenir plus tard des cadres chrétiens ouverts sur le monde et porteurs de foi et de charité.
En même temps, le futur Père Dehon forme un autre projet pour cette école. Depuis longtemps, il est attiré par la vie religieuse et, depuis juin 1876 plus particulièrement, il réfléchit à la fondation d’une congrégation religieuse dédiée au rayonnement de l’amour du Sacré-Cœur de Jésus. Il souhaite que, « sous le couvert du collège », naissent, parmi les élèves et les professeurs, des vocations de religieux. Saint-Jean sera donc d’une manière toute particulière le berceau de notre congrégation. Vous comprendrez donc sans peine notre attachement à ce haut lieu originel de notre histoire. Or, de son côté, Mgr Thibaudier, évêque de Soissons, désire la création d’un collège diocésain à Saint-Quentin. Il donne son accord pour l’école et, le 13 juillet 1877, l’autorisation est officiellement donnée pour la fondation de la Congrégation des Prêtres (Oblats au départ) du Sacré-Cœur de Jésus de Saint-Quentin.
Il fallait dès lors trouver une école à reprendre. L’affaire est conclue avec Monsieur Lecompte, dont la pension est située rue des Arbalétriers. Le 15 août 1877, La Semaine Religieuse du Diocèse de Soissons et Laon annonce la fondation de l’Institut Saint-Jean de Saint-Quentin. En y investissant une grande partie de ses biens, Léon Dehon achète l’école, entreprend des travaux, acquiert certaines maisons voisines. Le 1er septembre 1877, la rentrée a lieu avec une vingtaine de professeurs et surveillants, dont une dizaine de prêtres au moins. Sept ans plus tard, en 1884, on y comptera deux cents élèves (trois cents en 1914).
Parallèlement à cet important engagement scolaire et éducatif, Dehon fait une retraite du 16 au 31 juillet 1877 pour rédiger les règles et constitutions de son Institut religieux et commence son noviciat d’environ un an ; le 28 juin 1878, probablement dans l’oratoire des Religieuses (Servantes du Sacré-Cœur) situé dans le bâtiment de la rue des Arbalétriers, il prononce ses premiers vœux auprès de l’archiprêtre Mathieu, délégué de l’évêque, et en présence de quelques proches. Les débuts de la Congrégation ne seront pas sans difficultés ; en revanche, à Saint-Jean, l’avenir s’annonce meilleur.
Il est intéressant ici de découvrir brièvement le projet éducatif de Dehon, tel qu’il l’énonce le 4 août 1877, lors d’une distribution de prix, à la Maison d’Enseignement de Saint-Quentin tenue par Monsieur Lecompte, celle qui deviendrait l’Institution Saint-Jean quelques jours plus tard :
« Qu’est-ce donc que cette œuvre importante de l’éducation, et quel est son but ? », s’interroge le prêtre et religieux novice de 34 ans, non sans un brin d’apologétique et de polémique parfois, dans le contexte politique et religieux de son temps. « Au fond de tout système d’éducation, il y a une pensée dominante et essentielle, un but, un idéal. Ce but est toujours en rapport avec les doctrines politiques et religieuses du philosophe qui conçoit ce système d’éducation, ou de la société qui l’institue. La direction imprimée à l’éducation dépend tout particulièrement de l’idée qu’on se forme de l’homme parfait. L’immense supériorité de l’éducation chrétienne sur toute autre, affirme-t-il, vient de ce qu’elle a pris la perfection totale et surnaturelle de l’homme en cette vie et en l’autre comme son but et son idéal.
(…) L’idéal chrétien seul embrasse à la fois tous les éléments de la perfection humaine [je cite toujours Dehon].
L’éducation chrétienne ne néglige pas ce qui importe au développement physique. Elle se préoccupe de l’hygiène et des exercices du corps. Elle regarde les lettres et les sciences comme nécessaires pour développer les facultés les plus essentielles de l’esprit, elle forme le jugement par la philosophie et par l’histoire, le goût par la connaissance des modèles de la littérature et de l’art, la volonté et le cœur par la religion, les mœurs et le caractère par les procédés délicats en usage dans la meilleure société.
Élever un chrétien, ce n’est pas seulement lui donner des notions de science humaine qui l’aideront à se créer une position dans la vie. Ce n’est pas seulement le former à une délicate politesse, lui donner une science profonde et en faire un homme qui puisse et veuille se mêler à tous les progrès du génie humain. C’est aussi et avant tout former en lui un noble et grand caractère, des mœurs pures, de mâles vertus. C’est faire croître en son âme la foi qui ouvre à l’entendement le monde invisible, l’espérance qui fortifie le cœur par la perspective d’une félicité méritée, et l’amour qui rend Dieu sensible dans les ombres froides de la vie.
Élever un chrétien, poursuit Dehon, c’est encore former un homme de cœur [n’est-ce pas toujours la devise de Saint-Jean et La Croix aujourd’hui ?], un homme de sacrifice et de dévoûment, un homme qui ait secoué le joug de l’égoïsme. Quelle que soit la carrière qu’il embrassera un jour, prêtre, soldat, agriculteur, industriel ou magistrat, le disciple de l’éducation chrétienne y portera une conviction ardente et profonde, qu’il a une influence régénératrice de parole et d’exemple à y exercer.
Tout ce que Dieu lui a donné de talent ou de génie, tout ce que l’éducation lui a communiqué de forces intellectuelles et morales, tout cela ne sera pas seulement pour lui le moyen d’honorer sa vie ; ce sera encore l’instrument du bien qu’il doit accomplir. (…)
Tel est le but de l’éducation chrétienne. Tel est le nôtre. (…) Tel est notre idéal. C’est aussi le vôtre, n’est-il pas vrai ? »
Mis à part quelques accents marqués par le contexte de l’époque dans ce programme éducatif, sans doute pouvons-nous répondre positivement à la question du directeur de la nouvelle Institution Saint-Jean, surtout lorsqu’on considère le caractère holistique, ou englobant toute la personne, de cet idéal chrétien d’éducation. Et l’on pourrait ajouter cette phrase du poète Lamartine, citée dans le même discours, à propos de l’impression qu’il avait gardée de l’éducation chrétienne dans une maison religieuse : « C’est là que j’ai vu que l’on pouvait faire des hommes, non en les contraignant, mais en les inspirant ».
C’est donc dans ce projet éducatif que s’enracine lointainement « cette maison de St-Jean, qui, espérait Dehon en 1877, s’efforcera, tout en ne le cédant à aucune autre sous le rapport des études, de transmettre de génération en génération l’éducation chrétienne et la science du salut »[2].
C’est tout le bien que je vous souhaite pour aujourd’hui et pour demain, au nom de la Congrégation des Prêtres du Sacré-Cœur de Jésus, fondée ici même, il y a 144 ans, par le Père Léon-Jean Dehon.
[1] Pour cet exposé, je suis de près, et souvent littéralement, Sur les pas du Père Dehon. Guide de visite. D’après l’idée originale du P. Bernard Massera scj, (Prêtres du Sacré-Cœur, 21, rue du Parvis Saint-Martin, 02100) Saint-Quentin, 2021, p. 19-24 notamment. Pour plus de détails, voir A. Ducamp, Le Père Dehon et son œuvre, Paris, Éd. Bias – Bruges, Éd. Verbeke-Loys, 1936 ; Henri, Dorresteijn, Vie et personnalité du Père Dehon, Malines, H. Dessain, 1959 ; Yves Ledure, Petite vie de Léon Dehon (1843-1925), Fondateur des Prêtres du Sacré-Cœur de Saint-Quentin, Paris, Desclée de Brouwer, 1993, et Le Père Léon Dehon 1843-1925. Entre mystique et catholicisme social, Paris, Cerf, 2005.
[2] Léon Dehon, Discours pour l’éducation de la jeunesse 1877-1892, dans Œuvres sociales, vol. IV, Naples, Edizioni Dehoniane, 1985, p. 274-293, plus particulièrement 275-278, 290 et 293.