27 mai 2024
27 mai 2024

L’Ubuntu à la rescousse de notre Sint Unum

Dans cet article, le "Sint unum" est lu sous l'angle du concept philosophique de l'Ubuntu.

par  Yanick-Dominique NZANZU Maliro, SCJ

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Le mot « Ubuntu », issu de langues bantoues d’Afrique centrale, orientale et australe, désigne une notion proche des concepts d’humanité et de Solidarité. En Afrique du Sud, ce terme a été employé, notamment par les prix Nobel de la paix Nelson Mandelan et Desmond Tutu, pour dépeindre un idéal de société opposé à la ségrégation durant l’apartheid, puis pour promouvoir la réconciliation nationale.
Selon l’archevêque Desmond Tutu, auteur de Reconciliation: The Ubuntu Theology : « Quelqu’un d’Ubuntu est ouvert et disponible pour les autres » car il a conscience « d’appartenir à quelque chose de plus grand ». (Wikipedia)

Dans cet article, “Sint unum” est lu sous l’angle du concept philosophique d’Ubuntu.

Note : Les contributions proviennent des Commissions théologiques continentales de la Congrégation, en préparation du 25e Chapitre général.


On n’a pas à beaucoup réfléchir pour se rendre compte que l’on est en crise de communion autant dans nos sociétés que dans nos communautés religieuses. L’éthique de l’Ubuntu ne peut-elle pas servir de paradigme en Afrique pour porter remède à cette crise de communion ? C’est ce que nous allons succinctement examiner dans cet article.

Ubuntu : un présupposé socio-anthropologique

Issue de plusieurs langues bantoues, l’éthique de l’Ubuntu apporte une contribution significative à l’existence humaine dans son ensemble. Il s’agit d’une éthique justement parce qu’elle conditionne l’être humain dans son agir. Muntu, Mutu, Mundu, Moto (dans différentes langues) c’est l’être l’humain pris dans sa dimension non seulement ontologique mais aussi sociale. C’est l’homme tel qu’il est : un être relationnel. La devise de l’Ubuntu est : « Je suis parce que tu es ou parce que nous sommes ». En effet, « l’efficacité de l’Ubuntu vient de la primauté qu’il accorde à la rationalité relationnelle »[1] puisqu’en fait, considérer que l’homme est essentiellement relationnel remet en question la conception individualiste et égocentrique de l’être humain qui a lamentablement prévalu et continue de dominer le monde. Le tout ici est de reconnaître que pour atteindre le bien-être optimal, les humains dépendent les uns des autres. C’est la réalité de la dépendance ou de l’interdépendance mutuelle qui mène l’homme à la plénitude de son humanité.

Dans l’Ubuntu, le sens de la responsabilité repose sur la relation de l’individu avec son prochain dans la communauté, plutôt que sur une certaine autonomie individuelle. C’est tout le sens, en effet, du Sint Unum. Ce qui est mis au premier plan ce n’est pas l’individu mais la communauté ; le bien commun à préserver et le bien-être de tous à promouvoir. La rationalité relationnelle voudrait que l’accent soit mis sur la qualité de relation d’autant plus que l’homme est essentiellement fait des relations. Et ce sont ces liens qui lui font d’ailleurs une identité grâce à laquelle l’homme se définit. Ainsi, il ne peut avoir de sens que quand il se trouve dans un ensemble, dans un englobant qui, évidemment, ne supprime pas les individualités mais les assume dans un tout différencié. L’Ubuntu, c’est donc le « un » constitué à partir du multiple ; un « un » cohérent où les éléments échappent au monadisme leibnizien entendu qu’ils sont essentiellement interdépendants. Il s’agit là d’un présupposé anthropologique africain fondateur d’une éthique basée sur une forte conscience de l’unité. Un principe sans doute ! Qu’en est-il alors de la réalité ?

Une réalité qui rattrape

Qui dit Ubuntu dit relation. Et qui dit relation insinue l’appartenance à un groupe. En effet, l’homme est un être de société ou de communauté. Ainsi, il se sent toujours et déjà membre d’un groupe ou d’une communauté bien défini qui devient pour lui, d’ailleurs, l’élément essentiel d’identification. Progressivement, cet élément conduit à une catégorisation qui qualifie les autres communautés comme des étrangers. Philippe LEYENS estime que « dans toutes les sociétés existent des endo-groupes privilégiés qui justifient la catégorisation d’autres groupes comme étrangers, comme exo-groupes »[2]. C’est l’ethnicité qui, malheureusement, chevauche vers l’ethnisme. En Afrique, il s’agit  d’un véritable fléau qui mine non seulement nos sociétés mais aussi l’Eglise et la vie religieuse. Les barrières ethno-tribales s’érigent progressivement sur base de l’axiome : «  Nous privilégions notre groupe et nous le protégeons »[3]. Cette attitude alimentée parfois par les stéréotypes conduit à une tendance à vouloir assimiler l’autre ou l’anéantir  suivant le principe : « Soyez comme nous, et vous serez nos égaux »[4]. Au fond, c’est le refus de l’autre dans sa différence. Il s’ensuit donc un repli identitaire avec comme corolaire l’exclusivisme.

En effet, à faire une radioscopie de nos sociétés et même de la vie religieuse, on peut affirmer, toute proportion requise, que la cohabitation harmonieuse entre les différentes tribus et cultures peine à s’installer véritablement. L’incapacité de transcender, non seulement les différences et les particularités ethniques et tribales mais aussi les barrières géographiques et culturelles, fait du Sint Unum un défi permanent. Ainsi, à la place des « religieux-confrères », c’est-à-dire frères à tous, on se retrouve en face des groupuscules à forte coloration tribale. Le référentiel qu’est le Christ cède la place à des accointances géographiques. A la place du bien de tous, ce sont des intérêts de certains groupes et le positionnement des individus qui sont mis en évidence. Tout se passe comme si la vie était réduite à une lutte de positionnement. Il s’agit là d’un véritable venin dont le taux de nocivité est élevé. Il urge donc qu’il soit détruit. Comment alors ?

Tisser des liens et bâtir la communion

Il s’agit d’un défi majeur qu’il est nécessaire de sursumer. Déjà avant le début de ce siècle, le Pape Jean-Paul II en invitait les Africains quant à l’édification de l’Eglise-famille de Dieu avec des paroles claires : « L’on s’y efforcera de vivre l’amour universel du Christ, qui surpasse les barrières des solidarités naturelles des clans, des tribus ou d’autres groupes d’intérêts »[5]. Le lien à tisser donc c’est le lien d’amour qui unit et rend poreuses les barrières. En effet, venant de divers horizons, on doit arriver à « favoriser une saine diversité tout en sauvegardant l’unité essentielle »[6]. C’est l’idée d’une fraternité au-delà des différences. Et nos communautés religieuses devraient en principe en être des experts.

Parler de la fraternité dans une communauté, c’est en fait mettre l’accent sur le sens d’appartenance. On se sent donc membre d’une même famille. Et comme en principe, la qualité de frère est un état qu’on ne se choisit pas, on est donc appelé à l’accueillir et à l’assumer. Ainsi, la communion ne se construit pas sur des convenances personnelles moins encore sur des sensibilités culturelles à promouvoir mais un don : le don du frère. C’est avec ce frère que l’on est appelé à marcher vers la sainteté. Sur ce chemin des hauts et des bas, il est un compagnon à aider et à soutenir ; il est toujours là pour rappeler que la vocation à la suite du Christ ne se réalise pas en solo. Il y a toujours le frère avec qui l’on partage le même destin.

Pour conclure, il sied de noter que l’anthropologie africaine à partir de l’éthique de l’Ubuntu donne des éléments fondamentaux pour un Sint Unum authentique. En l’intégrant dans la vie religieuse, on peut arriver à l’édification d’une communion vraie, c’est-à-dire un lieu d’interdépendance et d’entraide ; puisqu’en réalité, aucun homme et alors aucun ne se suffit complétement.


 

[1] MUROVE MUYAZADZI Félix, L’Ubuntu in « Diogène » n°235.

[2] LEYENS Jacques-Philippe, Sommes-nous tous racistes ? Psychologie des racismes ordinaires, Bruxelles, Mardaga, 2020, p. 37.

[3] Ibidem, p. 35.

[4] Ibidem, p. 43.

[5] JEAN-PAUL II, Ecclesia in Africa, n°23.

[6] APPIAH-KUBI Francis, L’Église, famille de Dieu. Un chemin pour les Églises d’Afrique, Paris, Karthala, 2008, p. 267.

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