04 avril 2022
04 avr. 2022

Un Chapitre plein de tensions

" Nous n'avions survécu à ce chapitre que par la grâce de Dieu et parce que l'Eglise avait besoin du charisme du P. Jean Léon Dehon. Et si un SCJ avait pu survivre à cet événement, c’est qu’il peut survivre à tout. "

par  Bernard Rosinski scj

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Bien que je ne sois pas historien et que je ne connaisse que marginalement l’histoire des SCJ, je pense que le XVIème Chapitre Général de 1973 fut l’un des chapitres les plus controversés de l’histoire de la Congrégation des Prêtres du Sacré-Cœur de Jésus. En disant cela, je pense aussi à cet autre célèbre chapitre dans les premières années de l’Institut, lorsqu’un petit groupe tenta de démettre le Père Léon Dehon de sa position de leader en tant que supérieur général. Pardonnez-moi pour mon jugement spéculatif.

Le XVIème Chapitre Général eut lieu à Rome entre le 23 mai et le 7 juillet 1973, il y a presque 50 ans. Son objectif principale était d’élire un Supérieur Général ; une autre objectif importante était de se conformer au Décret sur la rénovation et l’adaptation de la vie religieuse du Concile Vatican II : « Il faut donc réviser de façon appropriée les constitutions, les « directoires », les coutumiers, les livres de prières, de cérémonies et autres recueils du même genre, supprimant ce qui est désuet et se conformant aux documents de ce saint Concile ». Perfectae Caritatis, 3. [Pour la suite, abrégé PC].

À cette même époque dans le monde, les attentes courantes exprimées et non exprimées étaient de voir si le Concile Vatican II, qui avait été conclu en 1965, s’accomplirait à travers ses délibérations. Les attentes étaient tellement divergentes ainsi que les gens attendaient que le Saint-Siège « concrétise » la manière dont les divers décrets devaient être mis en œuvre. Les gens parlaient souvent de « l’esprit de Vatican II » sans jamais préciser ce que ce terme signifiait (par exemple, les rumeurs sur le mariage des prêtres, l’intercommunion entre les religions, etc.). Souvent, de tels points de vue étaient nourris par une presse séculaire et par des organismes sociaux ayant des intérêts particuliers.

Parmi les délégués SCJ élus au XVIème Chapitre général, il a semblé à ce délégué-observateur que notre connaissance commune des conclusions du chapitre précédent était largement inconnue. La mienne l’était certainement. Le précédent XVème Chapitre général était constitué de deux longues sessions qui ont eu lieu presque immédiatement après la fin de Vatican II. La première session dura du 27 avril au 25 juin 1966 et sa seconde session (un Chapitre extraordinaire au cours duquel le Père Albert Bourgeois avait été élu à son premier mandat de Supérieur Général) a duré du 10 mai au 1er juillet 1967. Si les délégués à ce premier chapitre avaient cherché à répondre à la demande de PC (3) et avaient préparé des documents appropriés pour y répondre, ce délégué n’en avait pas eu connaissance. Il n’y eut pas de « proto-projet » de Règle de vie qui nous avait été donné à examiner. En fait, il semble que le XVIe Chapitre général eut commencé comme une tabula rasa.

Les sessions du Chapitre s’étaient déroulées sur le côté nord de l’actuel Collegio qui, à l’époque, était un vaste auditoire. Des unités louées, équipées d’écouteurs et de microphones, permettaient de s’accommoder. Quelques SCJ faisaient office de traducteurs, mais le nombre de langues disponibles était très limité. Pour la première fois depuis sa fondation en 1947, la province polonaise SCJ put envoyer des délégués à un chapitre général. Ce fait fut annoncé aux délégués qui répondirent par de grands applaudissements. Les délégués qui ne pouvaient pas être logés au Collège International furent logés au Collège Pio Latino.

Le chapitre commença par des préliminaires habituels à prendre en considération : règles de procédure, ordres du jour, rapports, rapport sur l’état de la congrégation, etc. Cet observateur se souvient encore des noms de deux des trois modérateurs : Les Pères Oscar Scheid et Oliviero Girardi. Le conseil des modérateurs, dont faisait partie le P. Bourgeois, prenait soin d’expliquer chaque étape au fur et à mesure du déroulement du chapitre.

Les délégués avaient été répartis en groupes linguistiques et commencèrent à traiter une série de questions connexes soigneusement conçues qui leur avaient été soumises. Les questions couvraient tous les différents éléments qui composent ce que nous, religieux d’aujourd’hui, connaissons et comprenons comme étant un ensemble de constitutions, avec quelque chose de nouveau ajouté : un Directoire pour ajouter des spécificités et des détails. La combinaison des Constitutions et du Directoire donnerait aux SCJ une Règle de vie. Après discussion, les groupes devaient ensuite présenter des rapports à l’assemblée du chapitre. Cette procédure est une qui, très probablement, avait précédé ce XVIème Chapitre général et avait certainement été utilisée depuis.

Les rapports que l’assemblée entendit des groupes linguistiques en 1973 firent rapidement naître l’idée qu’il y avait deux perceptions très différentes de ce que devrait être la vie religieuse, alors que nous essayions de réécrire nos constitutions. Il devint évident presque immédiatement que certains délégués et certaines délégations étaient épris d’attentes des points de vue exprimés dans les journaux et autres publications de groupes d’intérêts spéciaux : par exemple, remplacer les vœux par des promesses ; autoriser des religieux mariés, permettre aux laïcs en couple de nous rejoindre; dans presque tous les domaines de la vie religieuse, il semblait que certains étaient intéressés à rendre « obsolète » presque tout ce que le P. Dehon avait établi dans ses constitutions originales. D’autres rejetèrent ce point de vue.

Un sociologue résumerait la situation en disant que l’assemblée capitulaire s’était résolue en deux groupes opposés, avec un petit groupe tentant d’être pacificateur. Chaque fraction avait ses lieux de prédilection pour se réunir, se divertir, dîner. Les discussions entre les membres du groupe consistaient principalement à dire : « Avez-vous entendu ce qu’un tel a rapporté sur tel ou tel sujet de son groupe linguistique ? » L’appartenance à une fraction allait parfois au-delà des frontières provinciales et régionales. Avec les fréquents rappels du Conseil des modérateurs concernant la tâche qui nous avait été confiée de réécrire nos constitutions à la demande du PC (3), je me souviens qu’un délégué s’était assis et avait rédigé un livret de cinq pages qu’il proposa comme nos constitutions. Plus tard, une tentative fut faite pour approuver ce projet. Si on peut les désigner ainsi, un groupe aurait pu être appelé « non conventionnel » et l’autre groupe « conventionnel ».

L’antagonisme et la rancœur qui commencèrent à prévaloir, en raison des opinions contraires et opposées exprimées publiquement lors des assemblées générales, se répercutèrent sur la procédure d’élection. Il y eut une tentative sérieuse, presque réussie, d’élire un autre SCJ à la place du P. Bourgeois. La nouveauté de cette tentative consistait à nommer comme candidat une personne sympathique et bien qualifiée d’une petite province. Le confrère en question reconnut immédiatement que sa nomination était une manœuvre politique et protesta publiquement contre ce « scherzo » [blague]. On peut examiner le scrutin pour voir que le P. Bourgeois fut poussé jusqu’au dernier tour du scrutin possible pour obtenir les 50% +1 dont il avait besoin pour être réélu. De même, les membres du conseil fut soumis aux mêmes procédures humiliantes. Plusieurs fois, des délégués élus proposés à la nomination déclarèrent qu’ils ne se porteraient pas candidats à l’élection et refusèrent donc d’être utilisés politiquement.

Les discussions tournèrent en rond. Quelques points firent l’objet d’un accord, la plupart relevant du bon sens. Mais tout le reste fut examiné, débattu, réexaminé et redébattu… en grande partie sans aboutir à aucune conclusion. Étant originaire des États-Unis, cet observateur se souvient des travaux qui ont eu lieu à Philadelphie lorsque, en 1776, la Déclaration d’indépendance de la Grande-Bretagne avait été adoptée. Le travail de rédaction du document finalement approuvé fut confié à une seule personne, Thomas Jefferson, car les délégués de l’assemblée eux-mêmes ne pouvaient se mettre d’accord sur rien.

Si le XVIe Chapitre général avait finalement réélu le P. Bourgeois comme supérieur général et lui avait fourni un conseil, il ne remplit guère son autre tâche principale : celle de réécrire les constitutions selon la demande de PC (3). La réélection du P. Bourgeois comme supérieur général fut son seul mérite.[1]

Cet observateur-délégué se souvient de deux événements qui symbolisèrent toute la situation : (1) à un moment donné, pendant les débats de l’assemblée, le délégué polonais le plus âgé, apparemment frustré par le manque de progrès et la division, s’était enfui de l’auditoire en criant en italien « la congrégation touche à sa fin » ; (2) à une autre occasion, avant le début de la première session du matin, l’un des traducteurs SCJ, d’humeur très serviable, essaya de réduire la présente tension évidente en faisant voler une colombe mécanique actionnée par un élastique. C’était à la Veille de la Pentecôte. Et la colombe mécanique avait joliment volé à travers l’auditoire en plongeant et en se déplaçant comme une vraie colombe. Une prière ouvrit ensuite l’assemblée et son activité suivit. À la fin de cette session particulièrement acrimonieuse, le SCJ réapparut de sa cabine de traduction et essaya de faire voler la colombe mécanique une fois de plus. Elle démarra, puis se dirigea tout droit vers le sol de l’auditoire où elle s’écrasa. En quittant l’auditoire, tous les délégués, toutes tendances confondues, hochèrent la tête en signe de reconnaissance du symbolisme.

En fin de compte, le chapitre reconnut son échec et approuva sagement la seule chose qu’il pouvait faire : il établit un comité ayant l’autorité de rédiger une constitution que le chapitre général suivant pourrait examiner et approuver ; il donna l’autorité au Général et à son conseil de fournir et d’approuver un document provisoire. Je me souviens de deux des trois personnes choisies pour faire partie du comité de rédaction : Les Pères Alfredo Carminati et André Perroux, qui s’étaient tous deux distingués auprès des délégués par leurs observations judicieuses pendant les débats et leur neutralité face aux fractions.

Nous n’avions survécu à ce chapitre que par la grâce de Dieu et parce que l’Eglise avait besoin du charisme du P. Jean Léon Dehon. Et si un SCJ avait pu survivre à cet événement, c’est qu’il peut survivre à tout.


[1] Une note du Centro Studi Dehoniani : Le chapitre général, le 4 juillet 1973, avait approuvé avec 76 voix contre 2 un texte intitulé « Notre Règle de Vie ». Ce texte, avec d’autres documents approuvés par le chapitre général, fut envoyé aux différentes entités pour être examiné et expérimenté. Il constitue le noyau de ce que nous appelons aujourd’hui nos Constitutions (cf. Documenta IX, p. 32ss.). A ce propos, le P. Rosinski a demandé au Centro Studi Dehoniani de publier cette déclaration : « Lorsque j’avais lu pour la première fois Documenta IX après sa parution en 1975, même à ce moment-là, j’avais eu du mal à faire correspondre ce qu’il affirmait avec ce que j’avais vécu. Et c’était peu de temps après que le chapitre eût eu lieu. Donc, même à ce moment-là, je ne pouvais pas concilier mon expérience avec ce qui était écrit. Et c’était seulement deux ans après le chapitre. Je suis désolé que mes opinions ne correspondent pas à ce qui est officiellement écrit. En outre, je ne me souviens pas avoir vu les textes mentionnés à la page 20 de la version anglaise de DOCUMENTA IX : XVI GENERAL CHAPTER (AI-IV et BI-IV) qui nous auraient été remis pour étude. J’ai du mal à imaginer que cela eût été le cas lorsque les délégués proposaient leurs propres textes, comme la constitution de cinq pages que l’un d’entre eux avait distinctement proposée (et dont je me souviens du nom mais que je ne fournirai pas ici). J’avoue que 49 ans sont passés et que les souvenirs et les impressions s’estompent. Je suis prêt à affirmer que je peux me tromper ».


Brefs éléments biographiques : Bernard John Rosinski

Membre de la Province des USA, il a participé au XVIe Chapitre général (1973). Il a été coordinateur des services à la Curie générale de 1992 à 1998, et a été conseiller provincial des États-Unis de 2001 à 2004. Actuellement (2022), il réside à Chamberlain, SD.

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